Pour les joueur.euse.s et les proches
Témoignages
J’avais 21 ans quand j’ai mis les pieds au casino pour la première fois, avec des copains. J’ai joué 100 francs à la roulette et j’ai doublé mes gains. Par la suite, j’ai souvent repensé à cet épisode, je crois que si j’avais perdu ce jour-là, ma vie aurait pu être différente.
Puis j’ai démarré une carrière d’assureur et j’ai découvert les fins de mois difficiles. Pour m’aider, mon père m’a remis 100’000 francs, à titre d’avance sur héritage. Cette somme aurait dû me permettre de voir venir confortablement. Au lieu de cela, j’ai pris 3000 francs et je suis parti au casino. Ca été pour moi le début de l’engrenage. J’ai perdu plusieurs milliers de francs et je me suis dit que c’était vraiment trop bête, que je n’avais pas eu de chance et que j’allais me refaire.
En quelques mois, les 100’000 francs de mon père y sont passés. Malheureusement, plusieurs banques ont accepté de me faire crédit, ce qui n’a fait qu’aggraver mes dettes. Je me disais que j’allais m’en sortir et je me suis fait interdire dans les casinos.
Mais je me suis laissé entraîner à aller boire des pots, et c’est là que j’ai commencé à jouer au baggamon et aux cartes. J’ai très vite replongé. J’avais des dettes partout, je signais des chèques en blanc. En 1986, mon père décide de me faire mettre sous curatelle. Même comme ça, j’arrivais à me débrouiller pour trouver de l’argent pour jouer.
Puis les machines à sous sont apparues, dès 1988. A cette époque-là, j’en étais arrivé à voler mes propres clients en encaissant directement le montant de leurs primes d’assurance. A tous, sauf à ma femme, je racontais que j’avais une maîtresse, afin de justifier mes dépenses. Je n’avais plus le moindre scrupule à faire des dettes, ni à salir le nom de ma famille. Ce qu’il y a de terrible, c’est que même après toutes ces années, je continuais à aller jouer en étant persuadé que j’allais gagner.
J’ai commencé à être suivi par un psychiatre, que je roulais dans la farine comme les autres. Ce n’est qu’en 1995 qu’on a commencé à évoquer le nom de maladie. Au début de cette année, j’ai été licencié, je suis parti du domicile conjugal à la demande de ma femme et ça a été le début d’une prise de conscience. A presque 50 ans, je me retrouve dans un studio de 10m2.
Je considère que le jeu a détruit ma vie, celle de ma femme et de mes enfants. J’ai pensé plusieurs fois au suicide et je me dis qu’il aurait été préférable que je me retrouve en prison, au moins, je n’aurais plus pu continuer à jouer.
Ce témoignage a été publié dans un article du GHI du 30.11.2000
Si, avant cette soirée de réveillon au casino il y a une douzaine d’années, quelqu’un m’avait prédit que j’étais sur le point de vivre une progressive et inéluctable descente aux enfers, je l’aurais traité de fou ! Que moi, une quinquagénaire plutôt satisfaite de sa vie et pas plus bête qu’une autre, à qui on avait dès l’âge de raison inculqué le sens des responsabilités et le respect de l’argent, j’allais devenir une malade du jeu et perdre le contrôle de ma vie ?! Impensable !! Et pourtant….
Cette première soirée au casino, on a beaucoup aimé, mon mari et moi. J’étais fascinée par l’atmosphère à la fois festive et feutrée, la cacophonie des machines et ces rouleaux qui ne cessaient de tourner et me faisaient un peu tourner la tête, les éclats de joie des joueurs chanceux. Je découvrais un monde à part, loin des soucis du quotidien, un monde magique. Et nous avons joué et gagné assez pour rentrer à la maison avec le double de ce que nous avions investi au départ.
La vie a repris son cours. Pour mon mari, notre soirée casino restait un agréable souvenir, rien de plus. Mais moi j’étais hanté par ces images, ces sons, ces montées d’adrénaline. Une soirée au casino avait suffi pour que je « tombe en amour » avec le jeu, et plus précisément avec les machines à sous.
Alors j’y suis retournée, pendant cinq ans, d’abord une fois par mois et progressivement plus souvent, jusqu’à deux fois par semaine. Le plaisir du début s’est lentement et sournoisement mué en souffrance. Je ne manquais jamais de justification pour aller assouvir ma soif de jeu. J’estimais que je méritais de me changer les idées parce que j’avais beaucoup travaillé ou vécu un désagrément. C’était ma manière de fêter une réussite, une bonne nouvelle, un anniversaire. Quand je ne pouvais pas aller jouer au moment que j’avais décidé, je piquais des colères ou je boudais dans mon coin. J’étais nerveuse ou apathique. Je ne mangeais plus ou je me gavais. Toujours un extrême ou l’autre. Mais dès que je savais que je pouvais retourner au casino tel jour à telle heure, je retrouvais une énergie débordante.
Assise devant mes machines à sous, je perdais de plus en plus la notion du temps et de l’argent, j’augmentais progressivement mes mises et je n’arrivais plus à me contenter du montant que je m’étais fixé pour la soirée. J’allais, tel un robot programmé, rechercher de l’argent pour finir la soirée, le plus souvent à sec. Et toujours sans retrouver l’euphorie du début. Le lendemain de mes virées au casino, je me réveillais avec des sentiments de culpabilité, de honte et d’échec et je jurais de ne plus me laisser avoir. Je négligeais mon couple, ma famille, les activités de loisir que j’avais tant appréciées auparavant. Mais tout en me sentant de plus en plus mal, j’étais incapable de reconnaître mon impuissance face au jeu. Je m’accrochais à l’espoir que je pouvais, à force de volonté, changer mes habitudes et devenir une joueuse responsable. J’étais dans le déni total.
Au bout de cinq ans de galère, de frustrations et de pertes considérables d’argent, j’ai touché le fond. J’étais moralement et physiquement épuisée. J’ai dû me rendre à l’évidence que le jeu avait pris le contrôle de ma vie et qu’il était un adversaire si impitoyable et si puissant que toute bataille était perdue d’avance. J’ai dû m’avouer que j’étais malade. J’avais deux options, foncer tête baissée dans le mur et y perdre jusqu’à la vie, ou rendre les armes et demander de l’aide. J’ai choisi la deuxième option.
J’ai demandé une interdiction volontaire de casino, qui est encore valable aujourd’hui. Ce fut un véritable soulagement. Cela fait également sept ans que je suis une thérapie dans un centre de traitement des addictions. C’est là que j’ai pu sortir de mon isolement, déposer mon fardeau sans crainte de jugement et bénéficier d’un soutien professionnel et bienveillant. C’est avec l’aide de ma thérapeute que j’apprends à combler le vide créé par l’absence de jeu et à gérer mes émotions. Aujourd’hui j’apprécie à nouveau la vie, même si je me sens encore coupable d’avoir fait du tort, directement ou indirectement, à celles et ceux que j’aime.
Cela n’empêche pas que pendant ces sept dernières années j’ai craqué plusieurs fois et rejoué le temps d’un soir (bien entendu toujours à l’étranger). Je regrette amèrement chacun de ces écarts, qui se sont évidemment tous soldés par un échec. Mais je les considère aussi comme des piqûres de rappel.
J’ai compris que l’addiction aux jeux d’argent est une maladie qu’on ne choisit pas, mais j’ai à ma portée des outils qui peuvent m’aider à rester abstinente. L’un de ces outils sont les groupes de parole pour joueurs/joueuses. Le groupe autogéré auquel je participe régulièrement me permet de sortir de l’isolement en me joignant à d’autres personnes directement concernées et qui souhaitent, comme moi, vivre « hors-jeu » le mieux possible. Chaque réunion est pour moi l’occasion de partager mon vécu de joueuse, mes inquiétudes, idées et espoirs avec des pairs qui me comprennent parfaitement. Mes paroles résonnent en eux et réciproquement. J’écoute et je me sens écoutée, sans jugement. Nous échangeons trucs et astuces pour résister à la tentation de jouer. Nous abordons sans crainte des sujets douloureux comme la honte et les regrets. Nous nous soutenons et nous nous encourageons mutuellement. Ce groupe de parole m’aide beaucoup et je suis reconnaissante à toutes les personnes qui y participent !
Mon message d’espoir à d’autres personnes vivant la même problématique : Ne restez pas seules avec votre souffrance. En parler, que ce soit avec des professionnels ou avec des pairs, nous paraît d’abord bien difficile, mais finalement ça fait tellement de bien !
Voilà mouette est un pseudo, j’habite dans une région de plusieurs casino et comme Mme c avec qui j’ai beaucoup de points commun le casino est entré dans ma vie par ennui. Je connaissais peu et ne comprenais pas les accros mais un jour j’ai gagné et je suis devenue accro moi aussi. J’allais au distributeur comme une somnambule, quand je ne pouvais pas aller jouer la vie devenais triste rien ne m’intéressais , je me suis faite interdire 6 mois puis 1 an localement et là je revivais mais trouvais régulièrement des excuses pour aller dans un autre département. Donc un jour plus d’économies et je me suis toujours interdite de piocher dans nos placements donc je me suis fait interdire sur la France pour 3 ans .
Résultats : je revis je fais autre chose même si je ne suis pas une journée sans y penser.
Je dois aller au Luxembourg à l’automne, j’ai peur de rejouer.
C’était en 1998, nous étions mariés depuis 20 ans. Au début de notre mariage, nous avions convenu que je gèrerais les comptes du ménage. A la suite d’un accident, mon mari a dû cesser de travailler.
Il a pris en charge la maison et les enfants et j’ai commencé à travailler. J’ai laissé peu à peu la gestion de l’argent du ménage à mon mari.
Je travaillais depuis huit ans en tant que remplaçante en milieu hospitalier et mes jours et horaires de travail n’étaient pas fixes.
Lorsque je restais une ou deux semaines sans travailler, mon époux s’impatientait de savoir quand j’allais y retourner. Je trouvais que son caractère avait changé peu après que j’aie commencé à travailler : il devenait impatient avec les enfants, était souvent de mauvaise humeur, s’énervait pour des broutilles. Lorsque j’étais à la maison, il se précipitait à la boite à lettre dès que le facteur passait (surtout en fin de mois, au moment des factures), sautait sur le téléphone dès qu’il sonnait (toujours des erreurs de numéro!). Il lui est même arrivé de mettre le courrier en attente à la poste quand il partait seul avec les enfants en vacances.
Quand j’ai reçu les premiers coups de téléphone d’agences immobilières me disant qu’ils avaient ” entendu dire ” que notre maison était à vendre, j’ai vraiment commencé à m’inquiéter. Je sentais que quelque chose ” clochait ” mais je n’arrivais pas à savoir quoi… Et mon mari avait toujours une réponse plausible à mes questions… J’en était venue à penser qu’il avait une maîtresse…
Un jour, je l’ai pris en flagrant délit de mensonge et là il m’a avoué qu’il jouait au casino. Puis tout le reste: qu’il avait vidé tous les livrets d’épargne, y compris ceux des enfants, qu’il avait contracté des prêts auprès de plusieurs banques en faisant de fausses fiches de paie et en imitant ma signature, que nous avions des dettes…
Quand j’ai vu l’ampleur du gouffre financier, j’ai été atterrée. J’ai dit aux enfants que leur père avait fait de mauvais placements. J’avais trop honte pour leur dire la vérité. J’ai travaillé pendant trois longues années sans prendre de vacances pour éponger les dettes et tout le monde s’est serré la ceinture.
Quand enfin les comptes n’étaient plus dans le rouge, je soufflai un peu. Mon mari me jurait qu’il ne jouait plus au casino: “juste un jeu de grattage de temps en temps!” Je le croyais. Je pensais que c’était anodin. Je ne savais pas que l’on pouvait aussi devenir “accro” à ces jeux-là!
Comme j’avais repris en main la gestion des comptes du ménage et que chaque centime dépensé était noté, mon mari a, petit à petit, commencé à se plaindre de n’avoir pas assez d’argent pour faire les courses, à me reprocher de lui donner trop peu d’argent… Parfois, il avait “perdu le ticket” qui justifiait ses dépenses… L’argent était devenu un sujet de dispute fréquent.
Il a commencé à faire des petits boulots “pour avoir de l’argent de poche”.
Un jour, il y a 3 ans, nous sommes allés au centre commercial, il a prétexté d’aller aux toilettes, s’est caché derrière un étalage (il n’avait pas remarqué que derrière lui il y avait un miroir de surveillance) et, pensant que je ne le voyais pas, s’est mis à fouiller fébrilement dans son porte-monnaie: on aurait dit un drogué en manque!
J’ai pris peur et c’est là que je me suis rendue compte qu’il était malade et qu’il avait besoin d’aide.
Après une âpre discussion, il a accepté de consulter un médecin et de commencer une thérapie. Ce qui ne l’a pas empêché, au bout de quelques mois, de recommencer à jouer : jeux de grattage et casino. En plus, il s’est mis à boire de plus en plus…
Il y a 1 an, j’ai craqué au boulot et je me suis confiée à une collègue. Elle m’a aiguillée sur “Rien Ne Va Plus” où j’ai trouvé aide et écoute.
J’ai pu partager mon expérience avec d’autres qui vivaient aussi avec une personne dépendante au jeu. Enfin je n’était plus seule!
Je suis allée voir la famille de mon mari et je leur ai tout raconté. J’ai appris qu’ il leur demandait régulièrement de l’argent sous divers prétextes.
J’ai mis mon mari au pied du mur : le jeu, tout seul, ou accepter de se faire soigner, avec le soutien de la famille ; il a choisi le soin et notre soutien.
Il a accepté d’aller aux rencontres des “Joueurs Anonymes” et a arrêté de boire; il a rechuté une fois mais je savais que ça pouvait arriver: je lui ai clairement signifié qu’il n’y aurait aucune tolérance de ma part par rapport au jeu et que je le quitterai s’il recommençait à jouer, malgré l’amour que j’éprouve pour lui.
Je continue, pour ma part à aller aux réunions de soutien aux proches. J’ai cessé de payer ses dettes, les enfants sont au courant des problèmes de jeu de leur père et c’est devenu un sujet de conversation comme un autre, ce n’est plus un secret.
Août 2006. Il est deux heures du matin. Je me réveille à moitié et me retourne dans mon lit. Je réalise que la place à côté de moi est vide et, d’un seul coup, je suis complètement réveillée. Mon mari n’est pas rentré. Je ne sais pas où il est. Il n’a pas prévenu qu’il rentrerait tard. C’est toujours la même histoire, ça commence parfois avec une bière ou deux après le boulot ou quelques apéros avec le potes. Parfois on ne sait même pas vraiment comment ça commence, mais à un moment, il décide d’aller ‘s’amuser’.
Boîtes, cabarets, casino, quelle que soit sa destination, l’alcool et l’argent coulent à flots. L’espace de quelques heures, il dit s’évader (de quoi? Elle est donc si terrible la vie qu’on mène?), vie nocturne, monopoly grandeur nature, l’argent n’a plus de valeur, il sert juste à acheter de l’oubli et une ivresse éphémère.
J’essaie son portable: éteint. Il ne veut surtout pas être joignable. Une fois qu’il est parti, il ne se laisse aucune chance d’être distrait ou de se laisser convaincre de rentrer. C’est comme s’il se disait que maintenant qu’il est parti, il a échoué de toute façon, il a trahi sa promesse de ne pas recommencer, alors, tant qu’à faire, autant ne pas s’arrêter avant d’avoir épuisé tout l’argent possible, qu’il soit à lui, emprunté ou dépensé à crédit. D’ailleurs, il rentre de plus en plus tard de ses sorties à mesure que les mois passent. Leur fréquence augmente aussi. C’est comme s’il s’était engagé dans une spirale d’autodestruction qui accélère constamment.
C’est terriblement angoissant de le voir se détruire, de voir sombrer par la même occasion notre relation et de me sentir complètement impuissante. Je pense à tout ça en me tournant et retournant dans les draps. Je n’arrive pas à me rendormir, les minutes passent au ralenti, tour à tour, j’angoisse, je m’énerve, je m’inquiète pour lui, je m’apitoie sur mon sort.
Trois heures, toujours personne. En fait, je sais qu’il ne rentrera pas avant le petit matin, et encore, parfois il ne rentre pas du tout, mais je ne dors pas mieux pour autant, au contraire. Je suis en colère. Je pense à moi, plutôt qu’à lui et je me demande pourquoi il me fait subir tout ça alors qu’il dit m’aimer? Jamais je ne me permettrais de lui faire vivre une nuit pareille. C’est donc que je ne compte pas pour lui ?
Puis le cours de mes pensées prend un chemin radicalement différent: et si rien de tout ce que je soupçonne n’était vrai, et s’il lui était arrivé quelque chose? Je m’inquiète, j’envisage mille scénarios. Mais je reviens toujours sur l’image qui me paraît la plus probable, celle où je le vois en train de flamber de l’argent qu’il n’a pas, beaucoup trop d’argent. Je me lance dans de savants calculs pour deviner à combien pourra bien se monter le trou dans le budget ce mois-ci. J’envisage une multitude de stratagèmes pour tenir le ménage à flot malgré tout l’argent qui, je le sens, est entrain de s’évaporer en ce moment même. Je réfléchis aux possibilités, puis à l’absence de possibilité, puis à nouveau aux possibilités, de me mettre à l’abri de tout ça. Je me dis que ça ne peut pas continuer comme ça, qu’il faut trouver le moyen pour que ça s’arrête, puis je me dis que ça ne s’arrêtera pas, que je vais le quitter, puis je me dis que ça va s’arranger, qu’on va s’en sortir, puis je recommence à passer en revue tous ces cas de figure dans un autre ordre. Encore et encore.
C’est fou ce que c’est long, une nuit.
Il est quatre heures, il faut absolument que je dorme, je travaille demain, je vais être une loque. Lui aussi d’ailleurs, il doit travailler demain, mais à quoi il pense? Il devrait être couché, comment va-t-il faire? Sauf que, vu l’heure où il va rentrer, je suis sûre qu’il n’ira pas travailler. Ce ne serait pas la première fois. Il va finir par se faire virer, s’il continue. Et alors, qu’allons nous devenir? J’en conclus donc que ça ne peut pas continuer comme ça, qu’il faut que ça s’arrête…et je reprends le fil de mes réflexions en boucle, je tourne en rond.
Cinq heures trente, je n’en peux plus de me faire croire que je vais arriver à dormir. Tant pis, je me lève. Je ne sais pas comment je vais arriver au bout de ma journée. Je bois un café, un deuxième, puis me décide à aller travailler. Je me sens très mal, j’ai une boule énorme sur l’estomac. Où est-il? Que fait-il?
Je m’apprête à partir et le voilà qui rentre.
Et va se coucher sans même un mot. Je le suis, je l’accable de questions et de reproches. Il me répond sur un ton dur et hostile de le laisser tranquille, que c’est ses affaires et qu’il veut dormir. Mais qui est donc cet étranger, cet égoïste qui se couche dans mon lit? Où est passé l’homme que j’ai épousé et dont je suis amoureuse? Toute mon inquiétude et toute ma fatigue se transforment d’un coup en une immense colère. Je le hais, il me fait trop de mal, je ne veux plus jamais entendre parler de lui. Je veux partir loin de tout ça et tout oublier.
Mais en même temps, je voudrais rester, le retrouver et que tout redevienne comme avant.
Je voudrais l’obliger à me parler, à m’expliquer, à me rassurer.
Je suis désespérée et lui, il dort comme un bébé. Je pars au travail, complètement frustrée.
Dans la journée, je reçois un SMS de sa part: il s’excuse, il est désolé de s’être mal comporté.
Il me promet qu’il ne recommencera plus jamais, juré.
Comme à chaque fois.
Et comme à chaque fois, je n’ai qu’une envie, c’est d’y croire, à nouveau.
Novembre 2004. Nous nous connaissons depuis huit ans. Dès les premières semaines il m’a avoué qu’il jouait. Soucieuse de comprendre un monde que je ne connaissais pas, je l’ai accompagné un soir au casino. Je voulais décrypter ce langage des machines qui attire les joueurs à elles.
Cette expérience fut terrible et je revois encore cette scène comme si elle s’était déroulée hier. Mon ami cherchait du regard un endroit stratégique susceptible de lui rapporter gros. Puis d’un pas guilleret et enthousiaste il fit plusieurs fois le tour de la salle, repérant les machines qui affichaient de gros montants. Il finit pas s’installer devant l’une d’elle, qu’un joueur exaspéré venait d’abandonner. Satisfait de son choix il me lança un regard complice et malicieux, me faisant comprendre que celle-ci n’avait pas “tout donné” et qu’elle allait payer.
Emprunt d’une gaieté débordante, il incéra les premières pièces d’un petit budget fixé pour la soirée. Malheureusement, la situation tourna vite au drame. Le comportement de mon ami se transformait au fur et à mesure que la somme diminuait. Irrité par le peu de résultat, il tapait de plus en plus fort sur les touches. Il soupirait, jurait.
Ses yeux hypnotisés par l’écran n’avaient plus du tout la même expression. Son front brillait, il allumait cigarette sur cigarette.
La partie terminée, il s’est tourné vers moi le regard suppliant… ” encore….encore ” ! Il voulait jouer encore, persuadé de pouvoir ” se refaire ” ! Je tentai de le dissuader. Mais rien à faire, il ne voulait pas partir sur un tel échec. Je finis par céder et retirai quelques billets pour prolonger la soirée. Ce fut pire. Il avait changé de machine et le résultat fut encore plus désastreux. Rivé sur son siège, le regard dans le vide, le teint blême, il ne voulait pas partir. Je tentais maintes fois de le persuader de quitter cet endroit, mais il ne m’entendait plus. Il était pris de panique par la perte de tout cet argent et ce minable résultat, il voulait à tout prix refaire une tentative.
Je me suis fâchée. Voyant que les mots n’y faisait rien, j’ai tiré sur la manche de son blouson pour qu’il se lève. Face à son refus, j’ai hurlé, attirant l’attention des gens. Enfin arrivé à la voiture, harcelée de reproches, je me suis installée au volant.. Lui, à côté de moi, ressemblait à un petit pantin. Les yeux hagards, submergés d’une effroyable tristesse, comme si la terre s’était écroulée sous ses pied…
Monsieur T. est d’origine vietnamienne et occupe la fonction de comptable. Il est arrivé à Genève depuis l’âge de 8 ans et n’a pas quitté le pays depuis. Il a épousé une jeune femme de sa communauté et est père de trois enfants. Son épouse attend un quatrième. Ils ont ouvert un restaurant au bord du lac qui n’a pas été rentable.
Avant un accord signé de revente, ils se sont engagés sur l’achat d’un bar et se retrouve avec deux charges immobilières.
Mme T. joue beaucoup aux casinos. Aux tables, mais également dans des cercles de jeux clandestins où elle centralise ses relations sociales. Elle s’est endettée auprès de la communauté vietnamienne (faisant partie de ces cercles) et ne sait plus s’arrêter. Aujourd’hui, ses créanciers viennent menacer de mort M. T et ses enfants. M. T est selon eux responsable des agissements de sa femme et doit rembourser.
Mme T. a fait plusieurs tentatives de suicide. Elle a rompu toute communication avec son époux et ne remplit plus ni son rôle de co-gestionnaire ni celui de mère de famille. M. T est anxio-dépressif et ne sait plus où il en est. Il est « écrasé » par cette situation et demande de l’aide.
Face à la complexité de certaines situations, différents acteurs sont nécessaires.
Les proches sont très souvent épuisés par les multiples démarches déjà effectuées pour contrôler le jeu de leur conjoint, et risquent très fréquemment d’être confrontés à des situations de co-dépendance.